Booz

Booz a posé sur le flanc un paquet de céréales et construit sur ce premier promontoire une pyramide aztèque en morceaux de sucre.
Il a disposé tout autour : des couteaux, des fourchettes.
— Vous allez bien, les enfants ? demande la mère des deux frères.
Laisse-nous travailler, maman, demande gravement Booz, sans lever les yeux de son ouvrage politique.
Mooz tape du pied par terre et, par la grâce de son large fessier, fait grincer sa chaise en cadence.
— Pourquoi essaient-ils d’entrer ? demande Booz.
Booz prend un couteau et cisaille un côté du paquet. Des céréales se répandent sur la table. Booz enfile le couteau dans la fente.
— Le RER, dit Booz. Pour entrer dans la pyramide, ils passent par en dessous. Ils investissent les tunnels, les trous. Infiltrés.
Booz crève le dessus du paquet. Des morceaux de sucre dégringolent.
Avec un doigt, Booz ramène de son côté un morceau. Puis deux.
Mooz hulule doucement. Les sons de la guerre civile. Si tu as les capteurs assez sensibles, tu les reconnaîtras partout où ils crissent.
— Vous voulez que je vous prépare un chocolat chaud, mes chéris ?
Booz observe les morceaux de sucre tomber et le spectacle affiche la netteté d’un Déluge en Imax 3D. C’est fini, dit Booz sur radio buzz, terminé, les gens ne veulent plus de la pyramide sociale. Elle ne protège pas. Elle ne donne pas de travail. Elle n’éduque pas les enfants. Pourquoi iraient-ils se soumettre à ses lois ? Le seul problème des Cités est de vouloir y maintenir de force le régime d’ordre rodé pour les zones fortifiées, alors que ce sont des steppes. Vouloir y imposer la Loi sans y distribuer l’Or. Désadhésion massive. Je ne veux plus faire société avec vous. Ceux qui vivent encore dans la pyramide croient qu’ils peuvent en interdire l’accès. Ils n’ont pas compris. Le mouvement politique réel, c’est que de plus en plus de gens la quittent et s’installent loin de ses ruines. République, sclérose fatale. Marianne est une p√te empaillée, explique Booz, elle a couché avec tout le complexe militaro-industriel, et quand tu veux l’embrasser, un œil se décroche et éclate au sol dans une odeur d’œuf pourri. La Constitution est un défoliant déversé sur les populations pour les débiliter. STOP les valeurs factices. STOP les promesses non tenues. STOP les règles morbides. Retour à la vitalité des tribus. Vie sauvage, youheeh ! Alliances éphémères et rapines. Caillasses contre Caméras de surveillance. Grands sacs contre Rayons achalandés.
Des morceaux de sucre basculent. Des pans de la pyramide s’écroulent. Usines. Collèges. Classe ouvrière. Secteur tertiaire. Rejetés dans les caniveaux. Seul le sommet de la structure continue de pointer dans les airs, malgré ses fondements sapés.
Elle tombera d’un coup sec, explique Booz. Écoutez ses craquements. Mooz tape dans les portes de placard pour faire les percussions. Il n’y a que Mooz qui saura écrire le grand opéra pour 400.000 Citéens chantant la destruction de Rome, la pyramide effondrée sur elle-même sans avoir combattu.


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