Bacari


Bacari ne parle pas avec les clandestins. Il reste prostré, à part une ou deux brèves sorties. Son matelas posé au sol. Des gars ont proposé de lui monter un sommier. Il a fait non de la tête. Bacari préfère dormir par terre, le dos contre un mur, replié en position fœtale. Et puis. Il fabrique une cage. Une cage qu’il élabore lentement. Une cage assez grande pour loger un cochon, un petit veau, un mouton. Il revient de ses virées nocturnes avec de nouvelles fines branches de frênes, de noisetiers. Bois souple et facile à travailler en tresses.
Gerberine s’est juché sur une des armoires branlantes. Une armoire remplie de vêtements traditionnels cousus et peints à la main, soigneusement suspendus. C’est tout un catalogue de savoir-faire qui est rassemblé dans la piaule. L’un a construit un bateau. L’autre tiré sur des rebelles dans le désert. Le troisième a remis en activité des puits. Le quatrième sait tisser. Le dernier fabrique une cage. Les Pigeonniers, c’est un camp de transit, explique Booz sur radio buzz, un camp de transit dans la Grande Migration. On nous a menti lorsqu’on nous a parlé de HLM, parlé confort, sécurité, fonder une famille. Ce sont des tentes de béton dressées à la va-vite avant que nous ne soyons chassés. Ça n’a jamais été une habitation. Les Pigeonniers sont un point de passage où nous sommes poussés par le vent du désastre. Chaque fois qu’une porte claque, Bacari repense à la prison. Le claquement métallique des portes des cellules. Quand tu es enfermé pour toute la nuit avec deux types plus forts que toi.

Bacari a ses routines. Enfiler des vêtements propres pour aller chercher ses pilules chez Papy Valium.
Détacher ses cheveux en broussaille avant d’aller ravir ses petits.
Bacari avale une pilule. Une deuxième. Boit. Il boit toujours beaucoup et très vite. Quand on n’a pas le contrôle, sait Gerberine, le mieux est de s’assommer. S’il avait bu encore davantage cette nuit-là, il n’aurait même pas pu lever les bras. Pas pu se lever du lit.
Et donc ? demande Gerberine.
Le cocktail bière-tranquillisant joue son rôle de camisole chimique. Comme s’il avait un gardien.
Mais tu as un gardien, remarque Gerberine. Le Dégoût de soi est le plus puissant des gardiens, car il est affranchi de toute loi et de toute morale.


Rebondir : Bach Mai, Charles, Clémence, directeur de cabinet, Mattéo, Papy Valium, Théo, Véga