Natural Born Losers


00'00 | Dub-Duck | Une des rares traces conservées des sessions primitives des Natural Born Losers tournées vers l’invention d’un reggae-canard. Mooz a beaucoup théorisé une rythmique-volaille où la démarche syncopée de la cane, du canard, des canetons, fournit le répertoire systématique des lignes de basse possibles. Le dandinement bien tempéré. Et puis un jour, la Mère de Mooz a lavé à la machine son bonnet rasta, 90˚, avec une couette et deux taies d’oreiller, provoquant une extinction massive des velléités jamaïcaines.

00'48 | Tifin | Créoliser le monde, avait dit Booz, une phrase que l’on aurait pu retrouver dans son Partir de la parole : Je suis le marathonien de la voix. Mooz avait écrit la plupart des refrains de ce qui devait être un grand album de variétés francophones. Chaque morceau passé à la télévision annoncé par le claquement sec d’une culasse et l’image la mort, sempiternellement rejouée, de Didier Barbelivien, fusillé pour l’exemple.

01'10 | Gaga-déroute | Le rôle des animateurs-paroliers (JT, Météo, Bourse) et leur influence décisive sur le développement de la culture occidentale, quoique connu, n’a peut-être pas fait l’objet de la thèse décisive en deux volumes qu’elle mérite. Booz a toujours considéré le sujet par trop vulgaire. Et puis le problème d’une thèse universitaire, c’est que les facultés n’ont toujours pas dépassé ce vieux rapport merdique à la chose écrite et restent prostrées dans le culte moyenâgeux du codex. La parole doit voler, dit Booz, d’une oreille à l’autre, la parole-moustique, celle qui buzze, pique, insaisissable.

01'47 | More Love Song | Le rapport des Natural Born Losers à la chanson d’amour est une de ces questions malaisées à trancher. Mooz a affirmé à plusieurs reprises que son hostilité n’était pas de principe. Une note sur le frigo indique clairement la possibilité d’une love song conçue à partir de la Dixième symphonie de Malher et d’une centrifugeuse. Des boulettes de viande en guise de cœur, est-il conclu à la fin de la note : la punchline du refrain ?

03'40 | Deaf-Metal | Mooz n’a jamais masqué que son instrument de musique préféré était le DC-10 d’UTA. Pour les maquettes, néanmoins, Mooz accepte d’employer des moyens locaux. Le grand artiste ne conçoit pas son art comme un droit sur le monde. Il marche humblement dans les sons, il ne prend pas ombrage de la roulette bruyante d'un caddie. Mooz l’a dit à plusieurs reprises : il n’est pas choqué par la sonnette à la porte de l’appartement. Il l’accepte pour ce qu’elle est.

04'50 | Une pute, un sale clito puant | Le premier mot qui vient à l’esprit de Mooz au sujet du piano est le mot " titiller ". Des hallucinations de doigts courts et gras s’excitant lourdement sur les touches blanches faussement virginales. Presser, écraser, frotter. Ahaner-cavalcade. À une époque, Mooz vomissait ses trois derniers burgers quand la conversation venait sur le piano. Liszt plus Chopin égale proxos, concluait-il en s’essuyant les lèvres, l’estomac karcherisé.

07'27 | Vomito Imperator | Mooz pense que la radio perpétue le projet fasciste d’abolir les sons intérieurs en y substituant des bruits de sphincters compressés et c’est une dimension essentielle des projets musicaux ultérieurs : la décompression. Le monde contramédiatique exerce une pression continue sur nos tympans. Nous devons retrouver le plancher des vaches, le sol des sons. C’est là, résumé en peu de mots, l’intégralité du projet Natural Born Losers.

08'32 | L’Antéchrist parlait en notre bouche | Réhabiliter la mystique comme un des trois arts martiaux pour lutter contre le mal (avec L’obésité et le Bouton de volume (toujours plus fort quand la mère de Mooz appelle)) est une des clés de l’association des frères lipidiques Mooz-Booz. Leur maîtrise commune des trois arts martiaux les transforme en un être parfait, surpuissant, invincible. Le rapport avec Bioman serait un peu long à développer ici, mais : qui oserait le contester ?

11'06 | Polemos vs Stasis | C’est comme Mozart chanté par des dauphins si tu le chopes avec un sonar et que tu réencodes le signal grâce à un ordinateur trop puissant. Mooz pense que le rap emploie la police pour se confectionner un sergent Garcia ridicule et vaincu. Mooz pense que les instruments de musique n’existent pas, simple illusion amenée par le Commerce, et que la musique flotte en chacun. Que le vrai musicien est une baguette perceptive qui frappe les résonateurs enkystés dans ton cerveau. Que la partition est une peur culturelle, elle veut que tu écrives les notes pour tuer les sons. Que l’histoire de la musique dans nos contrées aurait pu finir avec Jean-Sébastien Bach et que la longue extinction, la Glaciation du Monde Occidental Sonore, a pris fin désormais. Mooz pense qu’il n’est pas un musicien mais un réchauffement climatique.

13'43 | Anal-concorde | Bien des formules ont été employées pour décrire la musique des Natural Born Losers. Formules qui sont autant d’approximations de l’intellect meurtri par la puissance drue de la création : le reggae version spleen, les basses plus lourdes que la disco, les pures syncopes hydrophoniques, le rap hardcore chicagoan, les danseuses en boxer argent qui descendent des étoiles, l’écriture polytonale inversée, le zouk bulgare interprété par des orphelines, Giuseppe Verdi enfin transcrit pour doom metal, le rock progressif allemand période machine, Tchaïkovski joué par des punks à Téhéran, la house réduite en musique de chambre et pour orchestre à cordes.

15'49 | La p-p-p-peur | Un des très rares morceaux ouvertement commercial des Natural Born Losers, réponse directe au Thriller de Michael Jackson et une des pièces du Vaste Plan pour reprendre la terre aux bavards. Mooz pense que le second single des Natural Born Losers est né d’un reportage sur l’accouchement traditionnel chez les aborigènes australiens, et qu’il n’y a pas de refrain, juste le cri surgi du ventre déchiré, avec un chœur de hurlements de nouveau-né quand les poumons défripent.

21'15 | Tchiktchiktchik | Transformer Le Mépris en un opéra de 24 heures pour pattes d’insectes brisées (sauterelles, mantes religieuses, bousiers) aura occupé Mooz un semestre entier, avant que la facilité un peu sinistre de l’entreprise (encore une relecture hip hop de Morton Feldman, non ?) ne le perturbe. Il y a mille pièces aisées à transcrire, déjà là, prêtes dans la masse adipeuse des sons enfouis en toi. Si tu leur donnes ton temps, quand écriras-tu les pièces majeures ? Ici, quelques secondes conservées et dernières traces de cet immense semestre de création.


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