Cité des Pigeonniers - bâtiment I

Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?
Mourir par balle est une réponse relativement courante et totalement dénuée d’ironie. On y retrouve les yeux qui brillent, ou qui se troublent, les yeux dans le vide, soit les yeux éternels des enfants au seuil des vocations.

Le bâtiment I a beau avoir été le premier à prendre feu, lorsque tout le quartier des Pigeonniers s’est embrasé, au cours des six semaines d’émeute qui ont suivi le premier mort, il est le seul bâtiment encore debout. Inaccessible dans les gravats, alors que les pelleteuses s’acharnent à se tailler un chemin entre les murs branlants qui menacent de s’effondrer à tout moment. Le plus petit, au milieu. Un symbole ? Et Booz hoche la tête. Encore une erreur d’appréciation. Pov débile, ne dit pas Booz, mais tout son corps l’exprime. L’insistance du bâtiment I, comme un doigt crochu et fuligineux dressé dans le chantier, un gigantesque doigt d’honneur au plein milieu du projet urbain, n’est pas un symbole. C’est un acte. Une charge. De la pure magie en fonction.

Philosophie. De tout tu peux faire une force.
— Si tu veux comprendre les Pigeonniers, regarde juste ce bâtiment. Regarde-le résister. Regarde-le qui ne tombe pas. Démoli, bombardé, brûlé, toujours là. Regarde-le pointer. Regarde-le : il vous emmerde. Regarde-le, méchant et amianté. Regarde ses tiges de fer qui lui sortent de partout, comme les cheveux d’une sorcière. Regarde tout le mal qu’il peut te faire. Regarde. Mais tiens-toi à bonne distance. Car tu n’as rien à faire ici. Toi qui n’es pas du quartier. Toi qui n’en es pas. Toi, l’étranger. Fais-toi discret. Regarde, mais, lui, s’il te voit, prends tes jambes à ton cou.
Mooz rit. Il y a une rythmique qui épouse les pas de ta course, quand tu cherches à leur échapper.
Une rythmique qui est un tout petit morceau de la bande-son de la guerre civile. Marrant. Hein ? Vraiment marrant.