Titine

La tombe de Titine est située une allée plus loin. Toute la famille vient le premier dimanche du mois. Budda reste en retrait. Les poings dans les poches. La mère de Budda fait durer l’instant. Arrangeant les bouquets. Sarclant les herbes folles autour de la pierre tombale. Époussetant la plaque de marbre dont le poids confirme qu’aucun rire ne viendra plus. Les souvenirs, ça n’existe pas vraiment. Ce qui existe, c’est la mémoire, une mégère aux yeux fous qui plonge ses deux mains dans ton crâne et dont les ongles crissent contre les parois en récitant une chanson où, année après année, elle te donne un rôle toujours plus sordide. Une mégère à foulard bariolé, qui crache à ta gueule de petit assassin son haleine rauque.
Budda ne répond pas à la provocation temporelle. Budda tape dans des parpaings en revenant du cimetière, du gauche, du droit, tape, juste un filet de bande Velpeau sur les mains, tape, avec ses phalanges déformées, et la peau cornée craquelle sous la frappe.
Tu iras chercher ta sœur, a dit la mère de Budda, papa ne peut pas y aller cette semaine, tu prendras son violoncelle, c’est trop lourd pour elle de remonter à pied. C’était la première année de violoncelle pour Titine. Elle avait vu un film avec l’école, elle avait adoré.
La longue pente des Tourelles. Virages sans visibilité. Titine a tout remonté à pied, poussant l’étui à roulettes devant elle. Elle doit se hisser sur les pointes pour voir où elle va. Voitures rasantes.
Les mômes n’inventent pas les catastrophes, ils les réalisent.
Crissement des freins.
À trois pavillons de distance, Budda pinait une mère de famille divorcée. Bons joints. Budda était tellement défoncé qu’il n’a pas vu le sang quand il est rentré, ni le répondeur qui bipait, il s’est dit : « Putain, quelle famille de bâtards, ils se barrent pour dîner, j’suis sûr qu’elle m’a pas préparé à bouffer ». Et il a mis un bon DVD de baston.


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